Voka Gentle, un objet sonore non identifié bientôt à l’Ubu

04.04.2024

Une multitude de claviers, une créativité presque enfantine et une musique curieusement fantaisiste… Le trio londonien Voka Gentle est l’auteur de sonorités inclassables dont l’originalité ne peut que captiver les audiences. Après un deuxième album acclamé par la critique, WRITHING!, et à la veille de la sortie d’un nouveau disque, Voka Gentle se lance dans une tournée qui passera, le 22 avril 2024, par l’Ubu. Avant cette date, les jumelles Ellie et Imogen Mason accompagnées de William J. Stokes nous ont accordé une interview. Décryptage d’un univers psychédélique indéfinissable…

Avant tout, d’où vient le nom de votre groupe ?

Imogen Mason : « Il est totalement abstrait ! »

William J. Stokes : « Ce n’est pas vraiment que cela ne veut rien dire, pour être honnête… Au tout début, nous portions le nom de Wovoka Gentle, d’après un poème de l’américain Gary Short. Nous avons décidé de choisir nos lettres préférées dans ce nom pour définir le groupe tel qu’il est formé aujourd’hui. Je suppose qu’on peut voir dans Voka un vague lien au chant, à ce qui est ‘’vocal’’. Mais à part ça, nous n’y avons pas vraiment réfléchi ! »

Quand on se plonge dans vos productions, qu’on écoute vos morceaux, on se rend vite compte qu’ils sont tous très différents. Il est difficile de vous coller une étiquette ou de vous cantonner à un style… C’est quoi, Voka Gentle ?

Imogen : « C’est vrai que, dans le passé, nous avons eu beaucoup de mal à nous définir. Mais en termes de genre, je pense que nous nous plaçons quelque part entre l’électronique alternative, si cela signifie réellement quelque chose, et le rock. Nous avons beaucoup d’influences plus heavy, qui ressortent surtout pendant nos live parce que nous y utilisons pas mal de guitares. En bref, on peut dire que nous faisons du rock alternatif. »

Ellie Mason : « Nous sommes influencé·es par beaucoup de groupes anglais, que nous admirons beaucoup, comme Portishead [révélé sur la scène de l’Ubu par les Trans Musicales en 1994]. Mais nous nous sentons également proches de la scène américaine, et de groupes comme Animal Collective. Je pense qu’avec toutes ces palettes et ces textures différentes, nous essayons surtout, au fil du temps, de trouver notre son. »

Vos productions ont-elles tout de même un point commun, un élément qui les relie ?

Imogen : « Ces points communs ne sont pas forcément intentionnels, mais il est vrai que notre nouveau disque parle beaucoup de tension, de lutte, de désordre. Nos chansons évoquent souvent les dynamiques de pouvoir. C’est assez cru… »

William : « Globalement, et depuis le début, beaucoup de nos chansons évoquent les façons dont on peut se sentir inconfortable. »

Ellie : « Notre deuxième album s’appelle Writhing ! [ce qui signifie ‘’se tordre’’], et il encapsule, dans chaque chanson, ce sentiment de mal être avec lequel on peut à la fois essayer de vivre mais, en même temps, dont on tente de venir à bout. Ce thème apparaît de nouveau dans nos plus récentes créations. Donc je pense que, d’une certaine manière, nous sommes attiré·es par cette idée paradoxale de tension, de lutte de pouvoir, que nous abordons de plein de façons différentes. »

© Hannah Sommer

Pourriez-vous revenir sur les origines de Voka Gentle ?

William : « Nous nous sommes rencontré·es en jouant ensemble, avec nos anciens groupes. J’étais en tournée et le groupe d’Ellie et Imogen [qui sont sœurs jumelles] a été booké pour nous accompagner en tant que première partie. À l’époque, la salle devait fermer à une heure très précise, ce qui fait qu’elles ont joué pendant environ 45 minutes, alors que nous, nous avons dû nous limiter à 15 minutes, jusqu’à ce qu’on nous sorte de force ! (rires) Sur le coup, on s’est très bien entendu·es et comme on appréciait mutuellement notre musique, nous avons décidé de collaborer.

« Voka Gentle est comme un parapluie sous lequel nous pouvons tous travailler ensemble, mais en restant nous-mêmes »

Après ça, nos deux groupes ont naturellement pris fin, mais nous aimions tellement travailler ensemble que nous avons continué. C’est marrant parce que nous voulions créer un nouveau groupe, mais nous avions aussi chacun·e nos propres identités en tant que musicien·nes. En quelque sorte, Voka Gentle est comme un parapluie sous lequel nous pouvons tous travailler ensemble, mais en restant nous-mêmes. Nous sommes un groupe, mais nous sommes aussi une coalition d’individus. »

Cette coalition, qui est un trio, devient en concert quatuor puisque vous êtes accompagné·es par un batteur, qui sera là lors de votre prochaine date à l’Ubu, le 22 avril prochain. Qu’est-ce que sa présence ajoute à votre musique, et pourquoi n’est-il pas un membre du groupe à temps complet ?

Ellie : « Nous avons commencé sans batteur, mais lorsque notre deuxième album est sorti, nous avons tout simplement réalisé que nous aimions beaucoup l’énergie qu’Oliver Middleton nous apporte sur scène. Cela nous permet de bouger plus librement, de répondre à ce qu’il fait. La programmation de batterie, les séquences de synthétiseurs et ce genre de choses, ça nous plait, mais l’importance de sa présence s’est développée naturellement, via l’amour que nous avons à jouer ensemble.

« Les concerts sont une autre expression de notre musique, ils représentent une chance de reformuler, de retravailler nos morceaux »

Ollie est un ingénieur du son et nous le connaissons depuis longtemps. Les concerts sont une autre expression de notre musique, ils représentent une chance de reformuler et de retravailler nos morceaux. Pour nous, avoir un batteur ou non n’a pas d’incidence sur notre relation avec le public : cela représente simplement une opportunité créative parmi d’autres, pour exprimer notre musique. Dans le passé, nous avons pu jouer des sets complètement retravaillés avec différents instruments, ou d’autres où nous n’étions que deux… Mais en ce moment, c’est le fait de jouer avec un batteur qui nous plaît. »

Si je comprends bien, nous pouvons nous attendre, pour ce concert, à quelque chose qui diffère vraiment de vos enregistrements ?

Ellie : « Je ne pense pas que ce sera si différent. Les chansons suivent leur propre parcours, mais il est certain que vous pourrez toujours les reconnaître ! »

Imogen : « Je pense que ce à quoi les gens doivent s’attendre, c’est de l’intensité… Mais aussi de la complexité et de la délicatesse. Nous avons deux facettes : le set que nous allons jouer sera énergique et à fort impact, mais aussi très planant, un peu comme notre morceau Kestrel, qui figure sur notre deuxième album, WRITHING!, et qui est très atmosphérique. »

William : « Et pourtant, c’est une chanson que nous n’allons pas jouer ! (rires) »

Imogen : « C’est vrai ! (rires) Nous venons à peine de terminer un nouvel album, qui n’est pas encore sorti. Donc nous allons jouer quelques chansons de ce nouveau disque, et d’autres de notre second album : celles que nous préférons, en fait… »

William : « La grosse différence entre ces deux albums, c’est que maintenant, notre musique est beaucoup plus minimaliste. Quand nous avons commencé à jouer ensemble, nous recherchions la grandeur, avec beaucoup d’éléments très denses. Une grande partie de ce nouvel album constitue une sorte de méditation sur un rythme entraînant, un peu comme une transe. »

Il faut aussi préciser que chacun·e d’entre vous êtes multi-instrumentistes. Comment s’organise le processus de création quand chaque musicien·ne joue d’à peu près tout ?

Ellie : « Ça change tout le temps ! Au départ, nous proposons tout simplement des idées, et ensuite nous travaillons sur ce qui résonne en nous trois. Nous n’approchons pas forcément la construction et l’arrangement des morceaux via nos instruments, mais plutôt à travers des sonorités et des palettes de graves, d’aigus, de textures. Une fois que c’est fait, nous utilisons ce que nous avons à notre disposition pour créer ces sons, plutôt que de dire ‘’OK, je vais écrire une partie à la guitare parce que je joue de la guitare’’. Ce n’est pas comme ça que nous abordons les choses.

« Pour créer des chansons, nous travaillons par couches de sons, comme si nous peignions avec une palette »

Nous n’avons pas vraiment de règles quant aux instruments qui seront utilisés dans une chanson, ou sur qui doit jouer quoi… Ce qui est plutôt sympa. Certain·es d’entre nous sont meilleur·es sur un instrument spécifique, mais ça ne veut pas forcément dire que cette personne va jouer spécifiquement de cet instrument. C’est comme ça que nous aimons travailler. »

William : « Il faut savoir que pour créer des chansons, nous travaillons par couches de sons, comme si nous peignions avec une palette. Le flux de nos enregistrements permet de faire des sortes de collages de sons. Nous travaillons de la même façon en live, mais avec la batterie en plus. L’approche est différente, mais cela ne signifie pas nécessairement que les morceaux deviennent extrêmement différents des enregistrements. »

C’est très intéressant, ce lien que vous établissez entre votre musique et la peinture, parce qu’on pourrait faire un parallèle entre l’identité visuelle de vos EP (intitulés Yellow, Blue, et Red), et les créations des périodes bleue et rose de Picasso. Globalement, tous vos disques et vos clips sont très recherchés graphiquement : est-ce un aspect important de votre projet ?

Imogen : « Effectivement, nous sommes tou·tes des personnes très visuelles et ça nous plaît vraiment beaucoup d’appartenir à un groupe qui crée son esthétique. La plupart du temps, cela va de pair avec notre musique. C’est assez amusant de voir comment les sons que nous produisons peuvent être déclinés graphiquement. »

Ellie : « Pour autant, je tiens à préciser que nous ne réalisons pas tous nos visuels. Nous avons également la chance de travailler avec des designer·euses très talentueux·ses. Par exemple, l’illustration de notre single Sympathiser a été créée par une amie, Kelly Diepenbrock. C’est aussi une autre façon de collaborer de manière créative et d’obtenir le point de vue de quelqu’un d’autre sur notre musique. Ça nous booste beaucoup ! »

Imogen : « En effet, personnellement, j’ai surtout tendance à imaginer nos décors pour les concerts, et nos costumes… J’aime beaucoup ça. Nous avons toujours fait beaucoup de spectacles très visuels. Le set que nous mettons en place en ce moment n’est pas aussi théâtral mais nous cherchons toujours à ce qu’il reste visuellement intéressant. Donc le public verra certainement un peu de ça dans le prochain concert… »

À propos de ce concert à venir, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

William : « Nous adorons la France, nous y avons toujours passé de supers moments ! Tout le monde est tellement accueillant et nous avons de supers fans en France, on a vraiment hâte de jouer pour elles et eux. »

Imogen : « Oui, mais le seul endroit où nous avons joué, pour le moment, c’est à Paris, peut-être deux ou trois fois : au Pitchfork Music Festival, mais aussi dans des salles comme le Supersonic, par exemple. »

Ellie : « Et à chaque fois, nous étions en première partie, donc nous sommes très heureux·ses d’être tête d’affiche, cette fois ! »

Imogen : « Et c’est vrai qu’on a hâte de revenir pour la nourriture aussi… On mange toujours si bien en France ! (rires) »

Billetterie