Retour aux sources : Marquis

06.04.2022

La disparition du chanteur Philippe Pascal, en septembre 2019, a laissé Marquis de Sade sans voix. Le groupe rennais navigue désormais dans les eaux sombres du post-punk sous les couleurs de Marquis. Avant leur concert à l’Ubu, Eric Morinière, batteur, et Frank Darcel, guitariste, remontent les courants musicaux de la formation et dévoilent les éléments d’un futur album.

On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical.

Breaking Glass (1977) de David Bowie

Éric Morinière : « David Bowie est un artiste qu’on écoutait énormément au sein de Marquis de Sade. Breaking Glass est le deuxième morceau de l’album Low, qui constitue le premier volet de ce que l’on appelle la trilogie berlinoise (avec Heroes et Lodger), un triptyque fondamental pour moi. Low est sorti en 1977, l’année de la création de Marquis de Sade et de l’émergence du punk. Breaking Glass possède une structure et un son de batterie hyper compressé, sourd, qui sortent de l’ordinaire. Ce n’est pas ce qu’on enseigne dans les écoles d’ingénieur du son. Avec Brian Eno, le producteur, David Bowie cherche à innover en studio et pousse les potentiomètres dans le rouge. Cela donne un grain particulier. Breaking Glass dure moins de deux minutes. C’est percutant, punk. Dans le premier album de Marquis de Sade, on retrouve la même dureté que dans Low. Un son pas forcément agréable à l’oreille. Cet esprit rentre-dedans, un peu déstabilisant, s’entend à nouveau sur le disque de Marquis dans des morceaux comme More Fun Before War ou European Psycho. »

Crazy Rhythms (live au CBGB, 1978) de The Feelies

Frank Darcel : « J’ai vu plusieurs fois The Feelies en concert au CBGB, en 1978. J’ai passé trois mois à New York cette année-là, et je me suis souvent demandé si je n’étais pas présent dans le public le jour où cette vidéo a été enregistrée. Ces gars montaient sur scène comme si leur vie en dépendait. Ils ne trichaient pas. Ils se donnaient à fond. Même si je ne comprenais pas toutes les paroles, ce que je parvenais à choper me paraissait intrigant. J’aimais la guitare nerveuse et inventive de Glenn Mercer. Musicalement, The Feelies est l’une des formations les plus excitantes du post-punk new-yorkais. En 1978, j’avais 19 ans, et j’étais étudiant en deuxième année de médecine. Avec Marquis de Sade, on avait juste sorti un premier 45 tours. The Feelies marquent un tournant. En les voyant, je comprends que mon rôle dans la vie est de devenir membre d’un groupe à plein temps… Sur le deuxième album de Marquis, on devrait pouvoir compter sur la présence de Glenn Mercer. »

Dream Baby Dream (1979) de Suicide

Frank Darcel : « Avec Philippe (Pascal, chanteur de Marquis de Sade), nous avons été fans dès le départ de Suicide. Martin Rev et Alan Vega avaient une manière incroyablement menaçante d’utiliser l’électro. Les textes contenaient très peu de mots, les mêmes phrases étaient répétées à l’envie. C’était fascinant. C’était aussi très sombre. Ric Ocasek, de The Cars, produit leur deuxième album et éclaire le côté dark de Suicide avec des arrangements un peu plus pop. C’est un disque magnifique, un des plus beaux de l’histoire du rock selon moi. Dream baby dream, enregistré au même moment, n’était pas sur le pressage français, il a fallu attendre un peu pour le découvrir après la sortie de l’album. Aux États-Unis, ce titre fait partie de la bande-son idéale de plusieurs générations. Même Bruce Springsteen l’a repris. J’ai vu Suicide en concert aux Trans en 1992, à la Cité. Un des concerts les plus excitants auxquels j’ai assisté. Il y a chez Suicide, comme chez Marquis de Sade, surtout sur le premier album, la volonté d’aller à l’essentiel et une manière presque rituelle d’habiter les textes. »

Soon (1991) de My Bloody Valentine

Frank Darcel : « J’ai découvert les Irlandais de My Bloody Valentine dans les années 1990 au Portugal où j’ai travaillé et vécu durant cette décennie. Les groupes indie rock ont toujours été très populaires là-bas, la critique rock y est très pointue. J’y ai curieusement signé plusieurs 45 tours d’Air-Tight Cell, le premier single autoproduit de Marquis de Sade, et me suis toujours demandé comment ils étaient arrivés là… Le son de My Bloody Valentine est vraiment novateur à l’époque. J’aime cette remise en question du rôle de la guitare, et de la structure des titres. C’est révolutionnaire et romantique à la fois… Les textes sont concis et hallucinés, avec des voix trafiquées, des mélodies imprévisibles. J’ai toujours préféré les rockeurs irlandais et britanniques de cette époque aux productions grunge. Avec Marquis de Sade, puis Marquis, on a toujours essayé de bien digérer nos influences. On les devine. On ne les copie jamais. »

True Love (2018) de Otzeki

Frank Darcel : « Dans notre éducation musicale, il y a d’un côté le Velvet Underground et de l’autre Kraftwerk. J’aime l’electro-rock d’Otzeki qui, des décennies plus tard, fait un subtil mélange des deux. Il y a une tension dramatique chez le duo londonien qui me plaît. J’écoute beaucoup de musique en voiture. Je vis à Rennes et les studios où je travaille sont dans le Finistère et je sillonne la Bretagne en écoutant des compilations que je grave moi-même, à l’ancienne, parce que je trouve que le son est meilleur, et j’aime le lien avec « l’objet sonore », fût-ce un CD.… Je suis très friand de cette electro-rock d’Otzeki avec des guitares qui ne sont pas juste là pour les arrangements, mais restent au cœur de la composition. Les guitares ont souvent été prépondérantes dans la musique que j’écoute. Dans le premier album de Marquis, Aurora, je joue les guitares rythmiques et quelques solos, mais j’ai laissé beaucoup de place pour les guitaristes new-yorkais invités. Pour le prochain, le rôle du deuxième guitariste, Nicolas Boyer, qui vient d’entrer dans le groupe pour la scène, sera important aussi. Nous allons imbriquer nos deux instruments. Et puis Simon Mahieu, le chanteur, va vraiment sceller l’identité du groupe, car il n’y aura pas tous ces invités à la voix que nous avons eus sur Aurora. Mais c’était bien sûr très important qu’ils soient là, à ce moment-là. Nous avons enregistré une dizaine de rythmiques pour ce deuxième opus et on va en faire d’autres pour avoir le choix. On veut prendre notre temps. L’album devrait sortir fin 2023. »

Marquis est en concert à l’Ubu le mercredi 27 avril à 20h, avec Tchewsky & Wood en première partie.