Cerys Hafana, plus d’une corde à sa harpe

06.12.2023

Dans la petite ville de Machynlleth, au cœur du Pays de Galles, vit une musicienne comme on en voit rarement… Son nom : Cerys Hafana, prononcez ‘’kéryss havana’’. Sa compagne de scène : une harpe triple plus grande qu’elle, comportant pas moins de 92 cordes. En les pinçant, la compositrice fait revivre le répertoire traditionnel de sa contrée, grâce à un chant évoquant des incantations magiques et merveilleuses… en gallois. Rencontre avec une artiste aux doigts de fée, ambassadrice d’un héritage en pleine renaissance.

Votre projet est unique : pourriez-vous nous en dire quelques mots ? 

Cerys Hafana : « Je joue d’un type de harpe très rare, appelée ‘’harpe triple’’. J’ai sorti deux albums principalement écrits pour cet instrument. Dans le premier, cwmwl, il y a surtout des arrangements de musiques galloises traditionnelles parce que j’ai été formée avec ce type de morceaux, j’ai grandi en faisant de la musique folk galloise. Mon deuxième album, Edyf, sorti il y a un an, comporte plus de compositions originales, toujours imaginées pour la harpe triple, mais aussi d’autres arrangements de chansons et de mélodies que j’ai trouvées à la Bibliothèque nationale du Pays de Galles. J’ai donc arrangé ces vieilles chansons afin qu’elles incluent les aspects uniques de la harpe triple, mais j’y ai aussi ajouté des influences plus contemporaines, parce que j’écoute beaucoup de styles de musiques différents. Tout cela est arrivé très naturellement : quand je m’assois pour écrire, cela ne sonne pas traditionnel, mais plutôt moderne. Ma musique est autant influencée par la pop et le minimalisme que par la musique traditionnelle. »

une femme joue de la harpe sur la plageÀ propos de votre instrument, la harpe triple – appelée, en gallois, telyn deires – pourriez-vous nous raconter son histoire ? 

« Tout a commencé en Italie, au 17e siècle. C’était alors un instrument de la musique baroque, qui a voyagé jusqu’à Londres. Pour certaines raisons qui m’échappent, les Gallois·es de Londres en sont littéralement tombé·es amoureux·ses, et l’ont ramenée au Pays de Galles. Partout dans le monde, les gens sont passés à autre chose et ont peu à peu commencé à jouer à d’autres types de harpes, mais quelques personnes au Pays de Galles se sont restés fidèles à la harpe triple. Ce qui la rend unique, c’est qu’elle a trois rangées de cordes… d’où son nom ! Les deux rangées extérieures sont accordées comme les touches blanches d’un piano, et la rangée du milieu comme les touches noires : cela signifie que vous n’avez pas besoin de pédale pour jouer dans différentes tonalités, comme pour d’autres types de harpes. Techniquement, tout est en face de vous ! »

Vous êtes sur le point de donner un concert sur une terre celtique : culturellement, la Bretagne est très proche du pays de Galles, via ces racines communes. Cela a‑t-il une signification particulière pour vous ? 

« Effectivement, c’est important. De toute évidence, il y a beaucoup de similarités dans nos deux langues. C’est toujours passionnant de voir à quel point certains de nos mots sont semblables. Il est très intéressant pour moi de me rendre en Bretagne, de parler aux personnes qui parlent breton, qui jouent de la musique traditionnelle bretonne et de comparer nos ressemblances et nos différences. Par exemple, la langue galloise est beaucoup plus répandue et parlée que la langue bretonne, mais à l’inverse la musique et la culture traditionnelles sont légèrement plus présentes en Bretagne qu’au pays de Galles, on le voit bien avec les bagads. Nous sommes à la fois tellement similaires et tellement différents, c’est passionnant ! »

Une femme tient une peluche en forme de pieuvre

© Heledd Wyn

Est-ce important pour vous de préserver cet héritage ?

« D’une certaine façon, j’ai fait tout cela par accident. Je n’ai pas choisi de chanter en gallois, accompagnée par cette harpe triple, pour des raisons politiques. Cela me paraissait juste la chose naturelle à faire ! Mais, d’un autre côté, c’est vrai que nous vivons dans un monde dominé par l’influence culturelle anglo-saxonne et américaine, alors qu’il y a tellement plus de richesses et de cultures à connaître, tellement de musiques et de traditions qui seraient perdues si nous laissions la culture mondialisée prendre le dessus ! C’est si précieux d’être capable de parler plus d’une langue, et cela a encore plus de valeur si cette langue est minoritaire parce que cela donne accès à quelque chose de très rare, et à une petite communauté. Tout cela permet à la fois de se connecter au passé, mais donne aussi la capacité de s’exprimer dans le présent, d’une façon unique. Je me sens très chanceuse de parler gallois, et de jouer de la harpe triple. Cela me donne accès à une incroyable richesse historique et culturelle, et cela me permet de faire partie d’une culture contemporaine florissante, qui crée un nouveau monde, en gallois. »

À ce propos, avez-vous le sentiment que la musique traditionnelle galloise vit une sorte de renaissance en ce moment, et de faire partie intégrante d’un mouvement plus large ? 

« Sans aucun doute, la langue et la musique galloise vivent des instants très palpitants, non seulement à travers la musique traditionnelle (Vrï, The Gentle Good, Mari Mathias…) mais aussi via la musique pop et rock (Adwaith, Rogue Jones, Sage Todz, Siula…). De nombreux groupes gallois rencontrent en ce moment un grand succès, et nous avons beaucoup plus de diversité musicale qu’il y a dix ans. C’est vraiment enthousiasmant de faire partie de tout cela, et de voir des jeunes oser être créatif·ves avec notre langue, chacun de façon unique et dans son propre style. »

Pendant les Rencontres Trans Musicales, vous allez donner trois concerts, du vendredi 8 au dimanche 10 décembre, à l’Opéra de Rennes. Comment envisagez-vous ces représentations, au sein de ce lieu unique ?

« Pour moi, donner un concert dans un site si prestigieux sera une première ! Je suis très impatiente : j’ai regardé quelques photos de l’Opéra sur Internet : le lieu a l’air magnifique ! Cette année, j’ai donné beaucoup de concerts à travers le Royaume Uni, dans des endroits parfois étranges, toujours très différents les uns des autres. J’ai hâte d’ajouter l’Opéra de Rennes à cette liste ! »

Cerys Hafana sera en concert à l’Opéra de Rennes les vendredi 8, samedi 9 et dimanche 10 décembre, dans le cadre des 45es Rencontres Trans Musicales.