Cyril Yeterian : « Bongo Joe, une maison pour toutes les musiques »

05.12.2023

Vivant, à Genève, leur utopie au quotidien dans leur propre lieu, à la fois disquaire, café et label, la communauté créative et engagée réunie sous la bannière Bongo Joe cultive un bel esprit d’indépendance, doublé d’une ouverture sur le monde, d’un sens de la convivialité et – évidemment – d’une passion sans borne pour la musique. Notamment les musiques qui passent d’ordinaire sous les radars… Avec autant de points communs, il était prévisible que les chemins de Bongo Joe et des Trans se croisent un jour. Avec une quinzaine de groupes du label programmés sur les 7 dernières éditions des Rencontres Trans Musicales – dont presque la moitié sur celle qui se tient cette semaine – voici un exemple rare de convergence artistique entre un label et le festival. Rencontre avec Cyril Yeterian, l’instigateur et maître d’œuvre de l’aventure collective Bongo Joe.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet Bongo Joe ?

« Pendant ma vingtaine, j’ai fait le tour du monde plusieurs fois avec mon ancien groupe Mama Rosin. D’ailleurs, on avait joué au Trans Musicales, je ne sais plus trop en quelle année… »

C’était en 2010, et vous aviez réalisé deux concerts : un au Parc Expo et un autre dans le cadre d’une conférence-concert dans l’auditorium des Champs Libres.

« Exactement ! En parallèle de nos vies de musiciens, on collectionnait les disques un peu… comment dire… un peu rares et oubliés. Et puis à force de tomber sur des catalogues de labels inconnus qui nous subjuguaient, on s’est dit qu’on aimerait bien faire pareil. On faisait tellement de découvertes musicales qu’on a voulu les partager avec plus de gens. Et puis avec la reconnaissance qu’on commençait à avoir, on avait aussi envie d’en faire un peu profiter la scène locale de Genève, d’aider à élargir le cercle “indé”. Donc il y a d’abord eu un premier label, à l’époque où on tournait avec Mama Rosin. Puis après, il y a eu le magasin Bongo Joe qui est né en 2013. D’ailleurs, on fête les dix ans en décembre. Le label Bongo Joe, lui, est un peu plus jeune, il est né en 2015. C’est un peu comme ça que ça a commencé. »

Quel était le nom du premier label ? 

« Il s’appelait Moi, J’Connais Records. Il y avait déjà aussi cette idée de sortir de la musique de groupes de la scène locale. D’ailleurs, sur ce label-là, on avait sorti vers la fin un album de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Et aussi ce trio de blues genevois qui s’appelait Hell’s Kitchen, qui a beaucoup tourné en France. Et puis des rééditions de trucs complètement inconnus, bizarroïdes, la face B de l’histoire de la musique, et volontiers des quatre coins du monde. Donc quand le label s’est arrêté, en même temps que Mama Rosin, nos chemins se sont séparés. On avait tellement tourné avec le groupe qu’on était un petit peu déconnecté de notre scène locale. En fait, on sentait qu’on avait besoin de partager quelque chose, d’avoir un ancrage. Puis, on s’est dit qu’on allait faire ça, créer un magasin qui serait un lieu de vie. Pas seulement un lieu réservé aux mélomanes et aux collectionneurs et collectionneuses hardcore de disques vinyles rares, mais aussi ouvert aux passants, aux habitants du quartier. Dès le départ, il y avait cette volonté d’être un lieu ouvert, alors on a créé un petit café en même temps que le magasin de disques, dans le premier local, qui était un tout petit lieu de 30 mètres carrés. Et donc ça a permis de mélanger les publics. C’était ça l’idée, de ne pas être juste entre nous, mais de partager cette passion débordante. Deux ans après, est arrivé le label Bongo Joe, qui a quand même repris certaines des directions de l’ancien label. Mais en l’élargissant encore. Il y a vraiment trois axes pour moi dans le label Bongo Joe : c’est valoriser la scène locale, genevoise mais aussi nationale. Deuxièmement, travailler avec des artistes contemporains d’autres scènes musicales. Et ça, c’est quelque chose qu’on a développé. La sortie du premier Altin Gün a par exemple vachement renforcé le lien qu’on a avec la scène d’Amsterdam. Plus récemment, on a développé des liens avec Istanbul, on collabore avec pas mal d’artistes à Bruxelles, et aussi à Bogota depuis plusieurs années avec les Meridian Brothers et aussi d’autres projets qu’ils ont à côté. On est donc connectés avec d’autres scènes musicales fortes, d’autres villes. Et puis le troisième axe, c’est celui qu’on faisait aussi déjà avec le premier label : c’est de revaloriser les archives musicales oubliées des quatre coins du monde. Et ça, c’est quelque chose qui est hyper important pour nous. C’est du travail au long cours, fatigant et pas forcément rémunérateur, mais disons qu’on est convaincu – enfin, je suis convaincu – que d’écouter des inconnus du passé, ça permet de mieux faire la musique du présent. »

C’est une véritable démarche patrimoniale.

« Tout à fait. On a souvent des retours des gens, des communautés de régions du monde non-occidentales qui nous remercient d’avoir fait ce boulot, parce que personne sur place ne le faisait. On ne l’avait même pas pensé à l’origine, mais on rend à nouveau accessible de la musique, à des gens qui n’avaient même plus accès à leur propre patrimoine. Par exemple, quand on a sorti la compilation Soul Sega Sa!, on a reçu des retours d’habitants de l’Île Maurice qui disaient “C’est la musique que j’écoutais plus jeune mais les morceaux ne sont pas sur les plateformes de streaming, pas même sur YouTube”. En fait, c’était des 45-tours qui dormaient dans des collections privées. Et là tu te dis “Mais en fait ça fait sens tout ça”. Donc voilà : on a le label et puis le magasin où on fait des événements, des concerts, des conférences, pour être une espèce de phare dans la nuit, ou une maison pour toutes les musiques. Et être autant un magasin, un lieu de vie, un lieu de passage, un label. Tout se répond et s’alimente mutuellement. »

Depuis le début de cette interview, quand vous parlez de Bongo Joe, vous dites souvent “on” ou “nous”, et plus rarement “je”. Alors, à la base, c’est un groupe de personnes ou c’est vous ?

« L’impulsion, c’est moi. À l’époque, dans le groupe Mama Rosin, on était en quelque sorte deux leaders, avec mon collègue Robin. L’ancien label, on l’avait fait ensemble. Et dès les débuts de Bongo Joe, après la séparation de Mama Rosin et la fin de ce premier label, j’ai gardé l’habitude de dire “nous”. Mais c’est aussi parce que même si j’ai impulsé beaucoup de choses, tout ce qu’on a fait, c’était dans un cadre associatif. L’organisation du travail se fait de manière horizontale. Au moment de la création du magasin, on s’est structuré·es en asso à but non lucratif, donc même si on faisait du fric – ce qu’on ne fait pas – on devrait l’utiliser pour poursuivre les buts de l’association. Ça, c’est hyper important pour moi. Je dis facilement “nous” parce que même si je suis souvent celui qui représente Bongo Joe, tout ça n’existerait pas sans le travail de toute une équipe, et même de plusieurs équipes. Entre le magasin et la buvette, ça représente plus de 20 employé·es. Donc je dis souvent “nous”, parce que c’est important d’inclure tout le monde. »

Mais pour être sûr de bien comprendre, vous êtes le fondateur du café-disquaire ?

« Oui, et l’histoire est marrante. J’étais à l’époque tout le temps en tournée avec Mama Rosin, et au rez-de-chaussée de l’immeuble dans lequel on venait juste d’emménager avec ma compagne, il y avait une coiffeuse pour vieilles dames, dans cette arcade qui allait devenir Bongo Joe. Je me souviens qu’il y avait une espèce de rideau en dentelle… Tous les jours, je passais devant et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai complètement flashé sur ce lieu. Un lieu très beau d’ailleurs, tout simple, avec des vieux sièges de coiffeur, des vieux miroirs et des vieux lavabos. Et puis un jour, je me rappelle, j’étais dans un avion pour le Canada ou les États-Unis à l’occasion d’une tournée et j’ai eu une espèce de fulgurance : je me suis mis à écrire un dossier qui m’a pris tout le trajet d’avion. Pendant sept heures, j’ai écrit ce dossier, comme une bouteille à la mer, que j’ai ensuite envoyé au propriétaire de l’immeuble. C’est là qu’est né, dans ma tête, ce projet de lieu. Il y avait l’histoire des vinyles, mais pas que. C’était déjà l’idée d’avoir un lieu de vie. Je parlais même d’autres choses que de juste vendre des cafés et des disques. Je crois que je disais que ça pouvait être aussi une sorte d’épicerie ou je ne sais plus quoi. Et même, je parlais de réparer des vélos. J’ai envoyé ça au retour de la tournée, et puis je pensais ne jamais avoir de réponse. Mais il y a bien eu une réponse rapide du propriétaire qui trouvait le projet assez farfelu et peut-être un peu trop dispersé. Mais disons qu’il a donné un premier avis favorable, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Et puis l’autre surprise, c’est que c’est arrivé beaucoup plus vite que prévu : alors que je pensais que ça se ferait peut-être pour dans dix ans, la coiffeuse a pris sa retraite à peine quelques mois après. Et là, le propriétaire m’a dit “Si vous voulez, l’arcade est à vous”. »

C’était donc le timing parfait, comme dans pas mal de belles histoires.

« C’est ça. Et donc c’est vrai que c’est né dans ma tête et de mon impulsion, mais après, on a lancé ce projet à plusieurs. Et ensuite, la vie de ce lieu associatif a fait que depuis maintenant dix ans, il y a énormément de gens qui sont passés par là et ont participé. »

Vous en avez déjà un peu parlé mais comment décrire la ligne artistique de Bongo Joe ?

« Je me suis toujours dit que ça serait beaucoup plus lisible d’être spécialisé dans un style de musique en particulier, que ce soit pour le label ou pour le magasin, d’ailleurs. Il y a tellement de musique qui a été enregistrée et pressée sur disque que tu pourrais remplir un magasin gigantesque avec uniquement des 45-tours de reggae ou de jazz. Mais moi, je pars du principe que j’écoute de tout. Dans la même journée, je peux écouter 25 styles de musique différents et je crois qu’il n’y a pas de limite à ça. Si on ajoute en plus une curiosité insatiable et une volonté de partager les découvertes, je dirais que la ligne, ou plutôt la direction artistique, est à trois cent soixante degrés, de toutes les époques et toutes les régions du monde. Donc, je ne sais pas si on peut voir une ligne, et moi-même je ne suis pas très au clair avec ça. Ce sont des coups de cœur sur des musiques qui peuvent prendre toutes les formes, il n’y a pas vraiment de limites. Les gens qui suivent et qui aiment Bongo Joe y voient souvent quelque chose qui fait sens dans la continuité, la variété et la diversité. Mais c’est vrai que j’aurais du mal à en parler, c’est quelque chose de sensible, qui me touche. »

Cette 45e édition des Trans Musicales fait un zoom sur le label Bongo Joe, avec pas moins de 7 groupes programmés, ce qui est très rare. La première fois qu’il y a eu ce genre de zoom sur un label, c’était en 1982, pour la 4e édition, où il y avait eu une nuit dédiée à Crammed Discs, un label belge créé deux ans avant, et qui existe encore 41 ans après !

« C’est un label que je respecte énormément. Pour moi, c’est un des meilleurs labels du monde. »

On peut voir un certain nombre de points communs entre vous, dans vos valeurs et vos positionnements artistiques.

« Ça m’honore qu’on soit comparé à Crammed parce que c’est vraiment un beau label. »

Vous avez déjà travaillé ensemble sur certaines sorties de disques ?

« Non, ça n’est jamais arrivé. On s’observe de loin, mais j’aimerais bien les connaître mieux. En tout cas, je regarde tout ce qui sort sur ce label parce que ça m’intéresse et je commande tous leurs disques au magasin. C’est vrai qu’on n’a pas encore eu l’occasion de faire quelque chose ensemble… »

Voici une archive du programme des Trans Musicales 1982, avec le détail de cette nuit Crammed Discs :

« Incroyable ! Alors il y a qui… Les Tueurs de la Lune de Miel, qui sont ensuite devenus The Honeymoon Killers, j’adore ! Il y a un morceau que je passe souvent dans mes DJ-sets, qui parle d’un avion… il s’appelle Décollage : [il chante] Prendre l’avion pour un autre là-bas… Il est incroyable ce morceau. C’est un groupe dans lequel jouait d’ailleurs Marc Hollander, le boss du label.

Alors dans cette prog, il y avait qui d’autre… Minimal Compact : on est fans aussi. Hermine, je ne sais pas ce que c’est. Des Airs, non plus. Mais oui, ça fait trop plaisir de voir ça, c’est incroyable… »

Donc pour revenir sur les artistes Bongo Joe aux Trans Musicales, il semble que ça commence en 2016 avec Hyperculte.

« Oui c’est ça. Le label est né en décembre 2015, donc ça n’aurait pas pu être avant. »

Ensuite Altin Gün en 2017, puis Cyril Cyril en 2018. En 2019 ça s’intensifie, avec Amami, Chouk Bwa & The Ångströmers, L’Éclair et Yīn Yīn. En 2020, il aurait dû y avoir Lalalar, qui a finalement joué en 2021, et en 2022, Société Étrange. Ce qui fait une petite dizaine de groupes. Est-ce que ces programmations sur le festival ont aidé au développement de ces projets et ont profité plus généralement au label ?

projets

« Oui bien sûr, ça a une influence positive dans le destin des groupes qui y jouent. Évidemment, quand on signe des nouveaux artistes, on fait hyper gaffe à ne pas leur vendre du rêve. Comme je leur dis toujours, on n’est pas des managers à l’ancienne. Je ne vais pas te taper sur l’épaule, et ça va faire de toi la nouvelle star. On est un label indépendant, on est pour la plupart des musiciens à la base, on gère un label qui commence à être un peu reconnu aujourd’hui, mais disons qu’on fait au mieux et qu’on ne peut pas leur promettre la lune. L’idée, c’est d’être en partenariat, on ne va pas faire les darons. Les disques marchent bien quand les groupes se bougent aussi à fond de leur côté. On ne peut pas garantir qu’il va y avoir un certain nombre de streams ou du succès. Ça se saurait, même les majors ont cette incertitude. Tout le monde se plante et tout le monde peut réussir, mais disons que la “recette secrète”, c’est un tel empilement de paramètres, dont certains ne sont absolument pas maîtrisables, que ce qui fait finalement le succès d’un artiste, c’est d’être au bon endroit, au bon moment. Et ça, c’est vrai pour tout le monde. Donc il faut garder une certaine modestie vis-à-vis de ça et puis travailler dur, c’est certain. Une fois qu’on a dit ça, ce que Bongo Joe peut apporter aux artistes, c’est qu’on a des connexions privilégiées avec des festivals prescripteurs comme les Trans, et quelques autres en Europe. On est aussi en contact avec des boîtes de booking [les entreprises qui vendent les concerts aux salles de spectacles et aux festivals] à qui on propose nos nouveaux artistes au moment de leur signature. On peut quand même mettre le pied à l’étrier d’artistes qui ont pour ambition de faire rayonner leur musique. Ça, on sait faire, on peut le faire et on ne ment pas en disant qu’on peut. Pour moi, c’est ultra important d’avoir la reconnaissance des Trans Musicales, parce que c’est vrai que ça nous permet, nous aussi, d’avoir confiance en nous quand on va discuter avec des groupes émergents et de leur dire : “C’est trop chouette parce qu’on est respecté et suivi par des entités, des lieux, des festivals qui peuvent vraiment avoir une influence sur votre évolution dans les prochaines années”. Et ça, on l’a constaté avec la plupart de nos groupes : aux Trans, tout le microcosme de l’industrie musicale est là. Les programmeurs, ils checkent tous les groupes inconnus qui débarquent. Sur ce festival, on a une vraie carte à jouer pour tous nos groupes. »

Vu la taille du pays, on a tendance à imaginer que tout le monde se connaît dans l’underground suisse. Est-ce que le fait que la Suisse ait quatre langues nationales a une incidence pour vous ? Vous avez autant de connexions dans toutes les parties de la Suisse ? 

« Il y a un fossé linguistique et même culturel, qui est d’ailleurs consacré par un mot allemand, le röstigraben. Le rösti, c’est ce qu’on mange avec les saucisses en Suisse, c’est une espèce de préparation de pommes de terre râpée. Le graben, c’est le fossé. Ça a existé, ça existe encore pour plein de raisons, mais disons que nous, ça ne nous intéresse pas trop l’entre-soi romand, donc on transcende volontiers les frontières intérieures à notre propre pays. Mais c’est vrai qu’on a quand même une plus grande proximité avec la Suisse romande. Après, stylistiquement parlant, du côté suisse allemand, la majorité des groupes et des productions que j’ai entendues récemment, c’est pas du tout notre esthétique, c’est assez marrant. C’est vraiment des régions et des gens différents. Disons qu’à Genève, il y a quand même une histoire particulière. Ça a été une ville qui a été vraiment très squattée pendant 20 ans. Il y a eu un énorme brassage de personnes, et en particulier d’artistes. Avec en plus une forte tradition d’accueil des communautés étrangères. Mais c’est vrai que les scènes sont assez différentes d’une ville à l’autre, alors que le pays est tout petit, tu vas d’un bout à l’autre en quelques heures. Même pour des villes à 40 minutes l’une de l’autre, c’est marrant. Côté Suisse alémanique, dans les groupes qui ne font pas les choses comme tout le monde, aux Trans l’année dernière, il y avait Omni Selassi. C’est un super projet qui vient plutôt de la scène expé, avec deux batteurs et Réa qui fait de la gratte et qui chante. Typiquement, c’est un groupe qu’on aurait pu sortir sur Bongo Joe. Après, on a trop de trucs à sortir [rires]. Pour te dire, actuellement on a des sorties prévues jusqu’au printemps 2025, on a 15 projets en cours. »

Impossible de ne pas évoquer l’affiche du festival cette année et surtout son créateur Félix Vincent, qui est un collaborateur régulier de Bongo Joe, pour les pochettes de disques. Est-ce que vous pouvez nous parler de lui et de votre relation ?

« J’aime beaucoup le travail de Félix. C’est aussi un super musicien. Ce n’est pas seulement quelqu’un avec qui on a collaboré pour les pochettes, mais c’est pour moi une sorte d’alter ego : un musicien passionné par une région du monde, l’Océan Indien. Félix, c’est avec lui qu’on a collaboré pour faire les deux compilations de sega mauricien qu’on a sorties sur le label et qui s’appellent Soul Sega Sa!. Il connaît bien les îles et tous les vieux musiciens de là-bas. Il a fait les pochettes de ces compilations, évidemment, et bien d’autres. Son groupe, Les Pythons de la Fournaise, pourrait être sur Bongo Joe, dans les sons, les hybridations et les recherches qu’ils font. Donc oui, Félix, dans la totalité du personnage, c’est quelqu’un de proche. Géographiquement, il l’est aussi, il vit à une heure de Genève, vers Chambéry, dans les montagnes. C’est quelqu’un dont j’admire le travail à tous les niveaux et qu’on sollicite régulièrement depuis des années pour faire des pochettes de disques. J’étais hyper content que les Trans le choisissent pour créer l’affiche de cette année, que je trouve super. »

affiche trans

Et enfin, la question que beaucoup de monde se pose : pourquoi “Bongo Joe” ?

« Pour répondre, je dois d’abord parler d’un des labels qui a changé ma vie et m’a donné envie d’en créer un : Mississippi Records, qui est basé à Portland aux États-Unis, qui existe depuis 20 ans et dont le boss est devenu un ami. Je suis allé faire un stage là-bas avant d’ouvrir le magasin parce que d’un coup, j’ai réalisé que même si j’avais un label et que je vendais des disques après mes concerts,  je ne savais pas ce que c’était que de gérer un shop. Donc je suis allé là-bas plusieurs semaines pour ce stage accéléré, et il m’a appris toutes les ficelles du métier. On a aussi fait des collaborations avec Mississippi Records sur plusieurs projets, autant avec l’ancien label qu’avec Bongo Joe. Et donc, pour répondre à ta question, “Bongo Joe” est le surnom de George “Bongo Joe” Coleman, un artiste que j’ai découvert grâce à la réédition que Mississippi a faite de son seul disque jamais sorti, enregistré en 1968 et longtemps introuvable, dont le titre est Bongo Joe.

C’est un artiste unique dans l’histoire de la musique, qui a fabriqué lui-même son instrument, et a fait cette espèce d’album qui ne ressemble à rien. Sur le premier morceau, il raconte qu’il est en train d’enregistrer un album et que ça va être le meilleur disque du monde. En fait, il improvise en continu. À chaque fois que je l’écoute, ça me fait une montée d’émotion et j’ai un sourire fait le tour de mon visage. Il incarne une forme de liberté totale, de résistance aux sirènes du succès, de la gloire et des concerts bien payés, parce qu’il a refusé des grosses propositions… il était assez populaire au Texas où il vivait. Mais voilà, il a décidé de continuer à jouer dans la rue, avec son instrument. Quand tu écoutes sa musique, franchement, ça ne ressemble à rien. Il est aussi en avance sur son temps parce qu’il freestyle un peu comme du proto-rap, il siffle, ça groove, il tape sur ces espèces de bidons qu’il a bricolés. Quand tu te dis qu’il a envoyé ses enfants à l’université en étant comme ça… C’était ça son métier, et il était fier d’être qui il était. Avec toutes ces valeurs-là, le do-it-yourself, l’intégrité, la passion, la générosité, il incarne absolument tout ce qu’on défend avec le projet Bongo Joe dans sa globalité, que ce soit le magasin, la buvette, l’organisation des concerts avec des groupes du monde entier et de notre scène locale, et le fait de sortir leur musique sur notre label. Donc quand on a ouvert le magasin et qu’il a fallu le nommer, Bongo Joe, ça a fait sens. Et d’ailleurs, pour les 10 ans, on va marquer le coup et mettre une plaque ou au moins écrire son histoire à l’entrée du magasin. On l’a fait sur Internet, mais on a besoin de lui rendre hommage au quotidien et de voir son histoire écrite tous les jours quand on va sur le lieu. »

Les artistes Bongo Joe en concert aux 45es Trans Musicales : Yalla Miku, Nusantara Beat, Bound By Endogamy et La Brucelle, le mercredi 6 décembre à l’Ubu ; Ndox Électrique, le jeudi 7 décembre au Hall 3 du Parc Expo ; Citron Citron, le samedi 9 décembre au Liberté ; et Blanco Teta, le samedi 9 décembre au Hall 3 du Parc Expo.

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