Retour aux sources : Tago Mago

11.10.2022

Accompagné par Les Trans cette année, le duo rennais Tago Mago, formé par Joris Prigent (claviers) et Léo Le Roux (batterie/claviers/chant) se prépare à partir sur les routes de l’Ouest en novembre pour la Tournée des Trans 2022. En attendant, les membres du groupe jazz prog se prêtent à l’exercice de choisir cinq titres qui ont marqué leurs parcours musicaux et partagent avec nous leurs influences, où se mêlent rock progressif, jazz et hip hop. Une sélection qui ne manque pas de groove.

Sea Song, sur l’album Rock Bottom (1974) de Robert Wyatt

 

Joris : « Robert Wyatt est pour moi une espèce de dieu vivant de la musique. J’adore le côté fragile et un peu naïf dans sa façon de composer et d’écrire. Je l’ai découvert quand j’étais à la fac, à Rennes. Ça m’a scotché. C’est vraiment ce qui m’a donné envie de ne pas avoir peur de la fragilité et de chercher la simplicité : il lui suffit de trois notes et de deux petits bouts de synthé. Et puis l’album Rock Bottom a toute une histoire : il a passé une année à l’écrire, alors qu’il était alité, paralysé après un accident. Ça ajoute quelque chose de puissant, qu’il ait composé cette musique sur un lit d’hôpital. Et tout le mouvement musical dans lequel il s’inscrit nous inspire beaucoup. »

Léo : « Pour ma part, j’ai d’abord écouté Soft Machine [le groupe de Robert Wyatt de 1966 à 1971], Gong, Caravan… en gros, toute cette scène de rock progressif des années 70 qu’on appelle “l’école de Canterbury”. J’ai découvert Robert Wyatt plus tard. Il y a ce son un peu enfantin, et en même temps on sent que c’est un accidenté de la vie. »

Check the Rhime, sur l’album Low End Theory (1991) de A Tribe Called Quest

 

Léo : « On pourrait citer tout l’album comme influence. J’ai écouté NTM et IAM vers 15–16 ans et découvert A Tribe Called Quest dans la continuité. J’adore cette musique en termes de rythmique, y compris le flow, même si on ne chante pas dans Tago Mago – du moins pas comme ça (rires). J’aime le groove dans cette musique : une petite ligne de basse, une mélodie entêtante et un flow qui débarque par-dessus… Avec Joris, on a en commun d’avoir beaucoup écouté du rap américain et français, et je pense que ça se retrouve dans la rythmique dans notre groupe, dans la basse, dans les accentuations du clavier. Ça fait partie intégrante de notre culture. »

Joris : « On se retrouve aussi dans ce son hip hop, dans cette manière un peu électro de composer, en créant des boucles que l’on répète, à partir de machines – des séquenceurs, à l’époque. C’est une autre façon d’écrire la musique. »

Mushroom, sur l’album Tago Mago (1971) de Can

 

Léo : « Quand on a fait notre album, on a réécouté Can et d’autres albums de cette époque, pour garder ce son en mémoire. Je n’avais jamais trop lu sur le groupe avant récemment, et j’ai découvert à quel point ils expérimentaient. C’est aussi notre manière de faire, de partir de petits éléments, d’en ajouter de nouveaux petit à petit, de reformuler… On aime cet état d’esprit. »

Joris : « Je suis tombé sur ce vinyle chez un pote. Il avait récupéré toute la collection de disques de son oncle. J’ai été happé par le son, le côté transe. Il y a chez Can cette idée de s’autoriser à prendre son temps, ne pas avoir peur de faire des morceaux de dix minutes aux sonorités psyché. C’est très écrit, pourtant en live certains morceaux pouvaient durer des heures selon l’inspiration. Il y avait beaucoup d’improvisation et le groupe allait au bout de son idée. Et cette liberté, pour nous, c’est une valeur importante. On a choisi le nom de Tago Mago pour le côté bidouillage et artisan du son qui nous inspire chez eux. »

Out of This World, sur l’album Coltrane (1962) de The John Coltrane Quartette

 

Léo : « J’ai choisi ce morceau de John Coltrane parce que le jazz a une importance fondamentale dans ma vie de musicien. Ici en particulier à cause du batteur, Elvin Jones : il n’est pas qu’un accompagnant dans ce morceau, c’est une entité à part entière, au même niveau que Coltrane. Mon jeu s’est formé à travers ces musiciens, qu’ils soient batteurs ou saxophonistes, qui ont chacun leur voix. Coltrane est un musicien qui ne sortait jamais d’un concert satisfait. Il fallait qu’il pousse le public dans ses retranchements pour qu’il se dise qu’il a fait du bon boulot. On trouve ça cool, cette idée de se donner à fond et aussi de se remettre en question. »

Joris : « Coltrane était aussi très curieux. C’est un peu le versant acoustique de groupes comme Can. Il y a beaucoup de similitudes entre les deux, même si l’esthétique n’est pas du tout la même. Mais on y retrouve cette liberté d’improvisation. »

Willie the Pimp, sur l’album Hot Rats (1969) de Frank Zappa

 

Léo : « Frank Zappa est une référence commune. Cet album est l’un de ses plus accessibles, il sonne très rock, notamment avec la participation de Captain Beefheart. On y trouve des plages où les musiciens peuvent s’exprimer. Et on sent que Zappa est aussi un gars qui s’amuse. »

Joris : « J’aime bien ce côté décalé, qu’on trouve aussi dans l’école de Canterbury. On fait de la musique avec le cœur et le plus de sérieux possible… mais on n’oublie pas que ça reste de la musique et qu’on peut en rigoler aussi. Nous deux, on a des références assez rock prog’ et je pense qu’il y a une image assez sérieuse de cette musique pour les gens qui n’en écoutent pas. Et le punk est arrivé quelques années plus tard, un peu en contestation de ces musiciens de conservatoire ; alors qu’en fait, dans les artistes qui nous plaisent de cette mouvance-là, c’est souvent des musiciens qui ont beaucoup de second degré et qui, finalement, ont aussi une manière assez punk de concevoir leur musique. [Regarde Léo] Qu’est-ce que tu en dis ? »

Léo : « Je suis tout à fait d’accord. »

Joris : « C’est vrai ? Cool ! »

Tago Mago est en concert gratuit dans le cadre de la Tournée des Trans :
samedi 12/11 à Bonjour Minuit (Saint-Brieuc),
samedi 19/11 au SEW (Morlaix),
jeudi 24/11 au Quai M (La Roche-sur-Yon),
ainsi qu’aux Trans Musicales, le samedi 10/12 au Hall 8 du Parc Expo.