Retour aux Sources : Pauline Croze

17.03.2022

Révélée aux yeux du public lors des Trans Musicales 2003, la chanteuse et compositrice Pauline Croze a sorti à l’automne 2021 son sixième album, Après les heures grises. Entre production hip hop et réflexion sur la société, elle donne une nouvelle inflexion à sa ligne claire. Plongée dans son juke-box personnel.

On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical.

If I Fell (1964) des Beatles

 

« Petite, je vais en vacances dans un centre équestre dans la Drôme. C’est un lieu très libre où l’on monte les bêtes à cru [sans selle], avec de la musique diffusée à fond. Je fais du poney dans une immense prairie en compagnie des Beatles ! Ce sont mes meilleurs souvenirs d’enfance. Ma passion pour la musique est donc apparue avec celle pour l’équitation. Les Beatles me fascinent. La mélodie un peu alambiquée de If I fell montre tout leur génie. Je me demande comment on a pu pondre un tel morceau à la guitare. Le groupe a surtout influencé ma manière d’exposer mes émotions. Quand John Lennon chante, il me crève le cœur. Il y a une sorte d’éternité chez lui. C’est ce que j’essaye d’atteindre. Faire que l’interprétation soit à la hauteur du sentiment. »

Rhythm Is Love (1992) de Keziah Jones

 

« Adolescente, je m’endors en écoutant la radio. C’est comme ça que je découvre ce titre. Le riff de guitare me fascine complètement. Je ne comprends pas comment Keziah Jones parvient à le jouer. Ce morceau se démarque de ce que j’entends alors à la maison. Ma famille écoute plein de choses différentes mais rarement des chansons qui donnent envie de danser. Il représente une ouverture vers un univers plus sensuel. Et puis cette voix, très blues, très soul. J’adore. Rhythm is love sert de déclic pour apprendre la guitare. J’ai 13 ans. Un an plus tard, ma sœur m’offre pour mon anniversaire une place pour Keziah Jones au Bataclan. Le premier concert de ma vie. »

So Real (1994) de Jeff Buckley

 

« Au lycée, je fais une dépression. Durant cette période très difficile de ma vie, j’écoute Jeff Buckley. Aujourd’hui, j’ai une relation amour/haine avec lui. J’adore sa musique, mais elle me replonge dans les ravins de cette époque. Je ne peux plus l’écouter. J’éprouvais une forme de complaisance avec mon mal-être et ma tristesse en écoutant des choses tristes. Jeff Buckley possède une virtuosité vocale. Il passe de l’intensité du rock au lyrisme d’un chanteur d’opéra. La mélodie de So Real suit un relief très accidenté, avec des montées et des descentes. De l’apaisement à la tempête, il reflète la mélancolie que je ressens durant ces années. Son deuxième album, malheureusement inachevé, est plus soul. Il m’a moins plu. Je ne retrouvais plus dans ses chansons les choses sombres et ténébreuses qui m’avaient accompagnées. »

Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable (1998) de Hubert-Félix Thiéfaine

 

« J’adore les couplets de ce morceau, moins les refrains. J’aime ces notes de guitare égrainées en parfaite osmose avec les paroles. Je suis plus touché par le texte que par la musique. Dresser la liste de situations dans lesquelles on se sent coupable est une super idée. La chute, qui fait référence à la mort de James Dean, me fait encore plus aimer ce titre. J’ai des frissons quand Thiéfaine prononce cette dernière phrase. Il y a un érotisme morbide. Ce morceau parle de paranoïa. On se sent parfois coupable de choses qui ne nous concerne pas. Je peux évoluer moi aussi avec ces sentiments-là. Ce qui me plaît chez Hubert-Félix Thiéfaine c’est sa poésie. Il y a un lyrisme de science-fiction orwellienne, noire, chaotique. Peu d’artistes et d’auteurs dévoilent autant leur fragilité. »

Julien (2018) de Damso

 

« Ce titre représente une prise de risque : aborder la pédophilie dans une chanson. Avant tout, il y a la production, simple, organique, dépouillée, avec un clavier naïf et innocent qui prend tout son sens au regard du texte. Elle est signée Nicolas Chataing, alias NK.F, à qui j’ai fait appel pour mon dernier album (Après les heures grises). Damso pose dessus des paroles extrêmement bien écrites. Il cherche à humaniser un personnage monstrueux. Cet homme est aussi une victime. La pédophilie est une pathologie. Damso montre l’humain dans sa triste réalité. Il ne la maquille pas. Il ne critique pas, ne joue pas les moralisateurs. Il ne reste pas à la surface des choses et évite de juger trop vite. Dans ma musique, notamment dans le titre Phobe, j’essaye moi aussi de ne pas être une donneuse de leçons. »

Pauline Croze est en concert à l’Ubu le dimanche 27 mars, dans le cadre d’un Lazy Sunday avec Vicky Veryno, à partir de 18h.