[Echo-système] Bob Le Louarn remet le son

08.02.2022

Aux côtés des Trans depuis les années 1980, en saison comme sur le festival, Bob Le Louarn est cofondateur et dirigeant d’Eurolive, une société rennaise de vente et de maintenance de systèmes de diffusion du son, qui équipe notamment l’Ubu et certains halls du Parc Expo pendant les Trans Musicales. L’enjeu de la qualité et de la fiabilité de cet aspect technique est essentiel, et c’est une bonne raison d’en savoir un peu plus sur ce maillon de la chaîne des concerts en allant interroger ce partenaire historique.

C’est une évidence qui mérite néanmoins d’être rappelée : sans « système son », les musiques actuelles (d’ailleurs parfois appelées « musiques amplifiées ») n’existeraient pas sous cette forme. Micros, câbles, enceintes, tables de mixage : tout cet équipement destiné à amplifier les instruments et les voix est géré sur place par des personnels dédiés et a une importance capitale sur la bonne tenue d’un concert. Pour Les Trans, Eurolive est notamment prestataire dans deux cadres : la salle de l’Ubu à l’année et les scènes du Hall 8 et du Hall 3 au Parc Expo pendant les Trans Musicales.

La première sono de l’Ubu à l’ouverture en 1987

Bob Le Louarn : « Il n’y avait pas eu encore de concert à l’Ubu. C’était une boite du coin, qui était plutôt grand public en son, qui avait dû remporter le marché. Peut-être qu’ils avaient été mal informés sur les commandes ou sur ce qui allait se passer, mais quand Hervé [Bordier, cofondateur des Trans Musicales, qui a quitté l’association en 1996] est venu me chercher pour me montrer des retours de scène [des enceintes destinées aux musiciens sur scène], ils étaient à peine plus grands qu’une boîte à sucre devant le chanteur ! Hervé me dit “j’ai l’impression que c’est un peu petit”. J’avais réagi en lui répondant « Le premier chanteur qui arrive, le premier Anglais, les haut-parleurs vont lui sauter à la gueule ». Donc après, il y a eu des modifications, l’équipement était constitué de quatre retours de moyenne importance et un gros pour le batteur, avec une table de mixage Scorpion. Ce matériel a dû tourner de 1987 à 2000 à peu près, jusqu’à ce que ça vieillisse et que ça soit rincé. J’ai ensuite conseillé de faire de la location avec maintenance pour éviter de travailler sur du matériel en fin de vie. »

Un apprentissage « sur le tas »

« Je ne suis pas musicien, j’ai eu les premières sonos avec des copains qui faisaient partie de groupes, ceux avec qui j’étais au lycée à Lorient et qui sont devenus les Soldat Louis, et j’ai continué. C’était sur le tas, vous appreniez à utiliser vos sonos et vous faisiez des tournées par passion, en évoluant. Il n’existait pas de formation spécialisée dans le son. Mes premières expériences sur le son, en dehors des bidouilles perso, c’était au GMEB (Groupe de Musique Expérimentale de Bourges). On travaillait encore avec les bandes magnétiques, les magnétophones ReVox, on apprenait à couper et coller, à faire des montages, on faisait de la musique contemporaine et expérimentale. Et le 2 mai 1990, j’ai monté Eurolive avec Michel Caous [la reprise par l’ATM de la gestion de l’Ubu date de cette même année, voir l’historique avec la web-série Uburama].

J’ai été aussi technicien à l’Ubu pendant un moment. J’ai été intermittent quelque temps sur les tournées de jazz avec Didier Lockwood, et puis aussi en variété, avec Pierre Bachelet, entre autres. J’ai même eu la chance, et je remercie toute l’équipe de m’avoir fait confiance, de mixer aux retours du concert de Lenny Kravitz [aux Trans Musicales 1989] ! Toute cette période-là, ça a été celle de Chris Mix [décédé en 2014] qui a été le sonorisateur de l’Ubu pendant des années. »

Les évolutions du métier

« C’est fini l’époque où on pouvait arriver comme ça et monter une sono ! Il y a maintenant différentes formations – à Eurolive, on va avoir des personnes qui viennent soit de l’ESRA, soit de l’INA à Paris. Tu vas avoir différents thèmes dans l’apprentissage, qui vont du plateau, aux consoles façades [le son qu’entend le public, contrairement au son retour, destiné aux musiciens], aux retours et enfin au calage du système. Il va de plus en plus y avoir des techniciens qui savent mixer mais qui ne sauront pas gérer une panne, c’est de plus en plus rare d’avoir des gens qui sauront comprendre d’où vient le problème, qui sauront caler un système. Chez Eurolive, quelqu’un comme Matthieu Le Failler sait mixer des artistes de jazz, caler un système, conduire les poids lourds, on a des gens polyvalents. »

Eurolive à l’Ubu aujourd’hui

« L’Ubu a son régisseur général, Samuel Michel, et des techniciens son, Bruno Lebouc, Pierrot Le Pape, Bruno Bumbolo, entre autres. Ils m’appellent s’il faut un complément ou s’il y a quelque chose qui ne va pas. Et si c’est le cas, on intervient tout de suite. Ça peut être une panne d’un micro et aussi des choses plus importantes : l’autre jour, ils m’ont ramené un retour de scène qui était juste à nettoyer, ça peut arriver que ça se bouche avec la poussière et on entend moins les aigus.
On assure la maintenance et le renouvellement quand il y a besoin, pour que ça marche tout le temps. À l’Ubu, il nous est déjà arrivé de décrocher une tête de façade qui craquait pendant la balance dans l’après-midi, ça n’était pas jouable pour le concert, et là c’est une intervention directe dans l’heure. »

Les spécificités de cette salle de concerts

« Les retours sur la bonne qualité du son de l’Ubu, je vais être humble, c’est un peu de tout. C’est sûr que c’est en partie dû à mon choix de matériel. Après, il y a aussi les gens qui savent bien l’utiliser. Enfin, les programmations de Jean-Louis font aussi que ça marche, c’est un tout.
La disposition de la salle en fait un lieu mythique, et c’est très bien comme ça – on sait qu’il y a le poteau, mais c’est magique. Après ça implique aussi que tu es dans un espace particulier, tu ne peux pas faire ce que tu veux. Tu fais en sorte que ton système son n’empiète pas sur la vue, ni les lumières, ni les vidéos – parce que maintenant, il y a de plus en plus de vidéos avec les groupes – et tu vas aussi avoir des problématiques liées aux lois sur le son. A l’heure actuelle le système est à moitié posé et à moitié accroché ; on avait évoqué de changer la façade, mais on s’est rendu compte que ça n’était pas nécessaire. Il y a par exemple les line arrays que tu vois sur tous les festivals, des boîtes longues qu’on accroche en hauteur de chaque côté de la scène : ça ne convient pas à l’Ubu, c’est fait pour projeter plus loin, l’architecture fait qu’on n’en a pas besoin.

Sur l’Ubu, ça fait un moment que j’ai proposé de passer sur une console numérique pour le son façade, mais les techniciens son tiennent à garder l’analogique encore pendant un moment. Après, c’est eux qui gèrent, je fais ce qu’ils disent. »
[Depuis cette interview, le choix s’est porté sur une console son numérique, mais la pénurie mondiale de semi-conducteurs reporte ce changement à une date encore indéterminée.]

Les Hall 3 et Hall 8 sur les Trans Musicales

« Sur le festival, Les Trans font appel à plusieurs boîtes de prestation qui sont réparties selon les halls : Melpomen/B Live, West Évènement qui est plus particulièrement sur la Greenroom, et nous qui sommes sur le Hall 3 et le Hall 8.

La problématique du Parc, c’est que ce ne sont pas à l’origine des salles de spectacles faites pour des concerts, ce sont des halls de Parc Expo. Par exemple, quand le Hall 8 a été investi pour la première fois par le festival [en 2014], on s’est posé pas mal de questions avec les régisseurs. La première année, on est mal parti parce qu’il y avait du vent, il faisait froid, c’était tout gelé, la température avait beaucoup joué sur la qualité du son. Il y avait aussi eu une erreur, c’est qu’un groupe très attendu avait des instruments acoustiques en avant-scène pendant qu’un autre était en train de s’installer derrière un rideau, et l’ingé son ne voyait même pas les instruments avec le public debout. Ça peut être ingrat pour nous parce que le matériel marche mais ce que les gens entendent sonne mal, ils peuvent penser que ça vient du matériel et pas du groupe ou de son ingé son.
Il a fallu faire pas mal de rectifications, en déplaçant un peu la régie, en mettant des pendrillons [des rideaux atténuant ici la réverbération du son], et maintenant c’est beaucoup mieux.

Aux Trans Musicales, on fait vraiment attention à ce que ça se passe le mieux possible. On utilise le gros système son GSL qui est un des derniers systèmes allemands à la pointe du marché, et qu’on utilise sur d’autres très grands festivals. L’avantage avec les enceintes que l’on utilise, c’est qu’il n’y a pas de réjection arrière : c’est à dire que quand tu vas derrière, même en festival de plein air, tu as l’impression que la sono n’est même pas ouverte. Donc tu ne sens plus les effets d’ondes à l’arrière, ce qui est bien aussi pour les halls des Trans Musicales, ça évite des problèmes de réverbération du son sur la tôle de ce côté-là du hall, sinon on aurait de la bouillie sonore beaucoup plus difficile à gérer. »

Depuis 2020, l’effet Covid-19 sur l’activité

« On a réduit l’activité, mais finalement il y a eu pas mal de gens qui ont quand même passés des commandes. On vend du matériel d’une marque allemande dont on est spécialiste. On a fait des démos de salles et puis il y a eu aussi des salles qu’on équipe à l’année comme l’Ubu ou l’Antipode, qui ont continué à tourner avec des résidences. On n’avait pas de difficulté avant, donc on a tenu le coup.

La nouvelle règlementation du son à 102 dB

« Sur les grands lieux, ça fonctionne, avec les systèmes qu’on a c’est facile à respecter, on met même moins fort sur les grandes scènes alors qu’on a plus de puissance. Sur les petits lieux, rien qu’avec une batterie tu es hors-normes, donc autant interdire les caisses claires ! On a aussi tous eu le cas du fest-noz où avec un biniou et une bombarde, on sait déjà que ça sera trop fort avant même d’ouvrir la sono. »

L’avenir de la sonorisation du live ?

« Les artistes travaillent de plus en plus avec des oreillettes, les ear monitors, ils ne travaillent plus avec les retours. C’est vrai que c’est moins fort, mais je pense que à la longue, ça va abîmer les oreilles des artistes ou des techniciens, un peu comme les Walkman ou tout ce qui est directement dans l’oreille. D’un autre côté, ça enlève du son, il y a moins de retour. Lequel est le plus dangereux ? J’ai un doute, mais ils vont de plus en plus vers ça.

On voit aussi des innovations sur les spectacles avec des sonos plus immersives, à 360 degrés. On vient par exemple de monter le dernier show de Jeanne Added [pour la tournée Both Sides, voir les photos du concert produit par Les Trans au MeM]. Et de manière générale, le numérique évolue vite pour toutes les consoles. Après, les haut-parleurs actuels restent sur le même principe que les vieux autoradios où tu avais du carton dans les enceintes, le principe d’une membrane qui se déplace dans l’air : c’est plus ou moins évolué évidemment, mais le son ne vient pas encore autrement. Ça serait une grande révolution si l’on trouvait autre chose… »